Page:Lemonnier - Happe-chair, 1908.djvu/161

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Au moment où ils touchaient au coupeau, deux ormes surgirent dans la nuit pâle, sous le bleuissement de l’horizon ; et, comme Jacques s’élançait, Capitte, craignant un massacre, lui noua les bras autour du torse.

— Pas de bêtises !

D’une bourrade Huriaux se désenlaça, puis tête-bêche fonça sur le couple qui, pris à l’improviste, s’affala côte à côte dans la poussière, Clarinette vociférant à pleins poumons :

— À la police !

Il ne la lâcha que pour charger Ginginet. Un nuage de sang aux paupières, il le broyait sous son poids, lui cognait la tête sur le sol, le pétrissait entre les calus de ses paumes. Et le porte-balle râlait, avec des efforts terribles pour s’arracher à ces mains qui lui entraient dans le cou, pendant que Capitte, perdant la raison à travers ce carnage, tapait à coups de poings dans le tas pour les décrocher. Alors la Rinette, un instant oubliée, tâcha de se mettre debout. Mais Jacques prévint son mouvement ; et sans cesser de maintenir Ginginet sous lui, il la ressaisit, la coucha à terre près de son amant, les obligeant à s’entre-baiser dans les secousses dont il heurtait leurs têtes. Maintenant qu’il les tenait tous deux à sa merci, il ne pensait plus à les tuer. Une autre idée lui venait ; il eût voulu étaler leur nudité sous les étoiles, pour y contempler la souillure de leur débauche.

Mais, comme Rinette et Ginginet se débattaient, leurs forces décuplées par l’idée de la conservation, de nouveau tous trois roulèrent dans une confusion de têtes et de bras battant le vide. Ginginet le premier fut à bout ; sanglant, défait, la mâchoire disloquée, sans force pour parer les horions, il s’abandonna.

Clarinette, plus virile, au contraire se défendait, mordait, hurlant toujours à travers ses coups de dents :

— Au meurt’ ! à la police !

Et, de son côté, le Berlu, sans prises sur cette colère déchaînée de Jacques, gueulait :

— En v’la assez, fieu ! I z’ont leur affaire !

Lui n’entendait rien, ne sentait pas les canines que la Rinette lui plantait dans la peau. Et, comme elle ruait, les jambes en l’air,