Page:Lemonnier - Happe-chair, 1908.djvu/211

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tout le village, un fier lapin ! On l’appelait Zénon Zinque. M. Jamioul, en visitant les fours, l’avait trouvé, l’avant-corps étendu en travers de la sole, dans le feu. Sans doute, il avait été projeté en avant par la force de l’explosion au moment où il venait de lever la porte de son creuset ; l’asphyxie avait dû être foudroyante ; et il était demeuré là, à rôtir dans les flammes, à demi caché par un éboulement.

— Pratiquait-il ses devoirs de croyant ? demanda la sœur, après les avoir laissés parler.

L’un des ouvriers ayant ébauché un mouvement de tête en signe de vague affirmation, elle les congédia, leur dit doucement :

— S’il en est ainsi, je prierai spécialement Dieu pour lui.



XXIII



Au petit jour, la neige cessa de tomber : une pâleur aigre blanchit l’orient gris, éclairant les faces blêmes toujours tassées contre les grilles. La gendarmerie étant venue enfin relayer Luchon, des bonnets à poil se promenaient de long en large dans la cour d’entrée, la bretelle des mousquets à l’épaule, leurs hautes silhouettes découpées en noir sur le ciel livide, avec l’éclair froid des boutons d’acier luisarnant dans le matin.

Puis la clarté monta ; une rumeur s’éleva de la foule à la vue du hall tronçonné, les cheminées tordues et lancées au milieu des monts de houille et de minerais ; on aperçut un pantèlement hideux de toitures arrachées par un cataclysme. Et tout d’une fois, cette masse dense de têtes et d’épaules se fendit devant le geste brutal du garde champêtre criant : Place ! et livrant passage à trois messieurs affairés, graves, qu’une voiture venait de débarquer aux portes de Happe-Chair.

C’était la descente du Parquet. Poncelet, averti, accourait de