Page:Lemonnier - Happe-chair, 1908.djvu/217

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

les consolations à ces êtres en détresse, leur prenaient les mains, quelquefois arrêtés net dans leurs condoléances banales où revenaient les mots : « Vie future, pardon céleste, bonté de Dieu », par une exaspération, un flot de colère intérieure crevant dans un outrage à la divinité. Un ancien puddleur, Baptiste Sophie, grand vieillard farouche, les yeux secs, repoussa brutalement le curé en lui criant sous le nez : — « Jé m’ fous dé t’ bon Dieu ! ou qu’i m’ rende em’ garçon ! »

Une scène porta à son comble la surexcitation fébrile des esprits. La mère du Spirou, une robuste femme approchant la cinquantaine, s’était couchée à plat ventre sur les restes du pauvre garçon. Elle se frottait aux lambeaux ensanglantés avec une volupté de désespoir, son corsage entièrement rougi à l’endroit de la gorge ; et constamment elle les baisait, leur parlait, les mâchoires ouvertes dans une grimace tragique :

— M’ fils, m’ chéri, c’est-i vrai qu’t’es pus là, que ti ne m’entends pus ? T’étais donc pus content que t’es ainsi laissé périr ? On était si ben là à trois, et’père et no deusse ! Fallait souquer ferme, ben sûr, mais to d’même on avait du pain, on était tranquille. Avec el temps on aurait p’ têt mis quéques liards ed’ côté, t’aurais travaillé pou t’mère et t’pére qu’avaient travaillé pou toé. Puis, t’aurais aconduit eun’femme, t’aurais eu d’s éfants à ton tour, et nô, les vî, on les aurait mis dodo, comm’ quand t’étais petit. Pouquoi qu’ t’es parti, Martin ? T’avais coûté tant d’ peine à no venir. À quat’ ans t’étais cor’ si misérabe qu’ les gens i disaient : Pou sûr, el’ femme à Culisse n’gardera nin s’ p’tit. Et j’ tai gardé to d’ même, j’ t’ai repris au bon Dieu qui volait t’ ravoir. J’ mé disais : J’ lui mettrai tant de baises d’sus s’ petite peau que la mort n’saura pu par où l’prindre. Et nu pu ren ! T’es là en miettes, pi qu’si une bête t’avait magni. Martin, Martin, Martin, Martin ! m’fils Martin ! m’doux chéri ! C’est ben toé, dis, qu’es là ! Martin ! M’s yeux et ma vie ! À c’t’ heure qu’ t’es pu là, quoé qué j’ vas d’ venir ? M’ faudra r’aller aussi et qu’ j’ laisse là l’homme to seul ! T’allais d’sus tes dix-huit ans, n’y avait pon d’ pu beau gars dans l’ village. Et d’belles journées qu’ti gagnais donc ! T’aurais été puddleur, contremaître, cor’ ben aut’ chose ! Et t’aurais ren été, qu’ t’aurais cor’ été