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Page:Lemonnier - Happe-chair, 1908.djvu/238

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XXVI



La Félicité ne parlait plus de s’en aller. Arrivée pour une simple visite, affaire de se ramicher avec sa fille, elle laissait passer les jours, installée de toute sa carrure aux Fanfares. Comme elle avait vendu ses bêtes, rien ne rendait pressant son retour aux Breteaux. Et elle se gobergeait, économisant, sur la chère lie que Zéphirin et elle faisaient chez Clarinette, le coût de leurs râtelées quotidiennes là-bas. Son goût de la bamboche l’avait reprise ; elle bâfrait, vidait les pots, donnait carrière à sa paillardise. Un soir, comme la Huriaux rentrait de la boutique, elle la vit, par la fente des rideaux, qui, assise d’une fesse sur les genoux de Gaudot, le baisait à pincettes, le mufle lubrique, avec son biglement de bique en rut. Brusquement elle ouvrit la porte : mais l’aduste vieille ne perdit pas la tête, et à travers une de ces grosses gaietés qui lui secouaient le ventre :

— I m’ va, ton galant. J’ l’ bécote comme em’ fils.

Rinette, qui savait à quoi sen tenir sur sa maternité, lui répondit crûment quelle eût préféré autre chose. Au fond, elle en avait assez d’ailleurs de cette prise de possession de son logis ; depuis que la gaillarde était là, l’argent avait coulé du tiroir sou par sou ; elle bousculait la maison du va-et-vient de son encombrante personne, commandait, se dédommageait outrageusement de sa pannetée de porc en se regoulant de formidables mangeailles. Et Zéphirin n’y mettait pas plus de discrétion qu’elle : à l’heure des repas, il s’abattait sur la table, la bride lâchée à un appétit d’autruche, puis détalait, passait son temps à gobichonner dans les cabarets avec un ramassis de gueux.

Le troisième jour, comme la matinée et l’après-midi s’étaient écoulées sans qu’il eût reparu, la Félicité fut prise d’une frousse :