Page:Lemonnier - Happe-chair, 1908.djvu/47

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nant comptait bien deux cents personnes. La Société des fanfares venait de se ranger devant la porte de l’infirmerie sur quatre files, Bernimoulin faisant face à ses hommes, un cornet à piston à la main ; et quelques employés des bureaux, les cinq contremaîtres et le chef d’atelier des laminoirs, l’ingénieur Jamioul, s’étaient placés derrière, laissant un espace vide pour la famille. Puis quatre hommes du train lamineur où l’accident s’était produit pénétrèrent dans le couloir avec l’un des gardiens de l’usine, et, un grand silence s’étant fait, on entendait le bruit sourd de leurs souliers garnis de caboches de fer sur le carreau, tandis qu’ils s’agitaient autour de la bière.

Au bout d’un instant, celle-ci apparut, luisante de vernis, une croix noire peinte sur le couvercle ; et immédiatement après, s’avançaient Clarinette, un mouchoir sur les yeux, le vieux charbonnier et ses fils, puis le cousin et la cousine, indifférents et stupides. La caisse ayant été poussée sur une civière, chacun des quatre hommes se mit à l’un des bouts, puis, au commandement de : Enlevez ! Houp ! tous quatre manœuvrant en mesure, le brancard fut hissé jusqu’aux épaules. Partout, aux portes des ateliers, dans le fond des cours, des têtes s’étaient avancées, qui regardaient s’en aller le mort ; il y eut comme une détente d’une seconde dans le tapage de la chaudronnerie et du bâtiment des machines ; mais le travail ayant repris sans tarder, la sortie du corps fut saluée par le fracas des bigornes battues de tous les marteaux à la fois, le coup de canon du pilon fonçant la brame et le sourd tonnerre des laminoirs.

La grille dépassée, Bernimoulin donna le signal de l’attaque et la marche commença. Chaque musicien, les joues gonflées comme