Page:Lemonnier - L'Hallali, sd.pdf/162

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.
l’hallali

fasse le grand saut dans la région des célestes quadriges. Car c’est la fin, vois-tu, la mienne et celle de tout que m’annoncent les clartés mourantes de ton œil ! Tu n’auras pas attendu le jour où entre quatre planches, sur le char aux fumiers, il t’aurait fallu me cahoter vers la sépulture gorgée des Quevauquant.

Sa voix baissa ; il ajouta très doucement :

— Et comme cela c’est moi qui te rend le fraternel devoir !

D’un râle alenti palpita l’agonie muette du grand cheval, sous la main qui, à poignées, avait pris les longs cheveux raidis de la crinière. Le ventre montait, refluait au long des côtes comme une eau qui s’entonne dans la bonde. À l’extrémité des boulets, dans la rigidité grandissante des jambes, s’abrégea le battement saccadé des sabots. Le baron toucha des genoux la litière et, se penchant par-dessus le chanfrein osseux qu’un dernier spasme immobilisait, il baisa le vieux compagnon entre les orbites où tout à coup, comme l’âme même de l’animal, larmait un peu d’eau qui ne coulait pas.

— Paix à toi, ami ! prononça Monsieur, en se raidissant.

Et pieusement, par-dessus le froid bleu des prunelles révulsées, il fit descendre la paupière. Toute la mort pesa : Bayard, les naseaux re-