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l’hallali

dante des Lanquesaing de faire dans la berline ce petit voyage annuel. En la remettant au train, après trois quarts d’heure de voiture, Jumasse lui eût fait gagner la moitié d’une journée. Mais pour rien au monde, elle n’eût consenti à un déplacement qui eût manqué du cérémonial accoutumé. Elle se hissa péniblement sur le marchepied, soutenue aux aisselles par Sybille, s’informa pour la vingtième fois si ses bonnets étaient bien dans le carton, puis tirant son mouchoir, s’affligea jusqu’aux larmes, à la pensée de quitter son bon homme. Elle lui avait pris la main, disant qu’elle faisait là un sacrifice qui lui coûtait autant que la vie. Ensuite, elle lui fit jurer de changer de flanelle au moins deux fois sur la semaine à cause des mauvaises sueurs. Elle dut aussi embrasser longuement Jaja et Michel qui, le corps à demi-entré par la portière, lui avançaient leur front. Quand enfin sa sensibilité se fût calmée, Jumasse, penché sur son haut siège, d’une anguillade de son fouet fit démarrer la jument : l’écusson des Quevauquant s’ébranla dans un bruit de ferrailles. Jean-Norbert et les enfants donnèrent la conduite jusque sur le chemin ; puis, une main, à travers la portière, longtemps secoua un mouchoir ; et tout doucement la haridelle, après avoir renâclé et s’être tendue sous l’attelle, se mit à trotter.