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Page:Lemonnier - Les Charniers, 1881.djvu/122

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sur le dos, remontaient la chaussée. C’étaient les habitants de Bazeilles qui revenaient chercher dans les ruines du village incendié la place où s’était élevée leur demeure. Quand on les interrogeait, ils répondaient qu’ils avaient rôdé deux jours dans les bois et sur les routes, presque sans manger, et ils espéraient maintenant trouver un pan de mur, avec du feu dessous, pour s’y abriter et s’y réchauffer. La pluie leur avait collé la chemise au dos et leur chair claquait sur leurs os de fièvre et de misère.

— Nous avions une maison, disaient-ils, un toit, un foyer, des chevaux, et nous gagnions notre pain en travaillant. À présent, nous n’avons plus rien et nos enfants meurent de faim.

Des femmes, l’air égaré, cherchaient à pénétrer sous les décombres et appelaient leurs maris en sanglotant. On essayait vainement de les retenir et elles criaient avec désespoir qu’on leur rendit leur homme. Et les autres disaient d’une voix sombre :

— Elles sont heureuses, celles-là : elles pleurent. Nous, voilà deux jours que nous ne savons