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Page:Lemonnier - Les Charniers, 1881.djvu/156

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soûlait de sang et de fureur des êtres naturellement humains.

Tandis que les deux compères criaient en tapant dans leurs paumes et sur les tables, on entendait le pas des patrouilles sur la chaussée, des galops de chevaux, des commandements, des traînements de sabres. Les hurlements des blessés dans le lazaret voisin augmentaient à mesure que montait la lune. Des chiens aboyaient.

À minuit, on bourra le feu ; et chacun, ayant pris ses aises dans son fauteuil, l’un après l’autre laissa tomber la tête : bientôt la chambrée entière ronfla.

Au matin, ayant fourré en dormant ma botte dans le feu, je sentis une cuisson au pied et je m’éveillai. Le petit jour gris pénétrait dans la chambre et laissait voir à travers la fumée des pipes les postures bizarres des dormeurs. Dehors, le ciel verdelet et pâle se teintait de filets rouges comme la bile d’un malade et une tranche de lumière aigre blanchissait la crête des toits par dessus la chaussée encore noire. Au loin, les trompettes sonnaient la diane dans les camps.