Aller au contenu

Page:Lemonnier - Les Charniers, 1881.djvu/209

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

on s’habillait à la hâte, les femmes tremblaient, les hommes s’armaient.

Je voulus dormir et soufflai ma bougie ; mais l’appréhension éternelle qui tenait des heures entières les habitants de la ville éveillés m’empêchait de fermer les yeux et j’entendais au-dessus de moi, dans les chambres, des traînements de talons lourds indiquant chez les autres comme chez moi, des veillées bourrelées.

L’idée qu’une paille suffirait à faire flamber le brasier sommeillant où tant de haines et de fureurs couvaient ténébreusement, nous remplissait tous d’inquiétude, et je pensais aux maudites portes fermées.

Les rues, du reste, avaient une agitation sourde, faite de vagues rumeurs lointaines, comme un bruit dormant de chaudière. Une oppression haletait dans l’atmosphère.

À tout instant de grands claquements de sabres battaient le pavé. Des soldats se chamaillaient d’une voix retentissante, avec des mots bruyants comme des éclats de trompettes. Un hurlement de chien vaguant s’étouffait dans le bramement douloureux d’un chien mordu.