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Page:Lemonnier - Les Charniers, 1881.djvu/255

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— C’est le général qui cherche son fils, me dit-on.

Les fiévreux déliraient lamentablement. On grelottait à les écouter parler de leurs familles, de leurs pères, de leurs mères, de leurs sœurs et du village où ils étaient nés. Car tous ces malheureux, ces écorchés, ces amputés, avaient là-bas une mère, une sœur, un père, une fiancée qui, pendant qu’ils râlaient, priaient à deux genoux que le roi de Prusse voulût bien finir la guerre.

Un jour, quand ceux qui n’auront pas laissé leurs os dans quelque coin de terre ignoré, sans croix, sans pierre et sans linceul, quand ceux qui seront sortis de champs de bataille, des prisons et des ambulances seront revenus, le bras en écharpe, la tête dans un bandeau, avec une jambe en moins et des béquilles sous les bras, au foyer de la famille, des voisins, mères, pères, sœurs, fiancées, maîtresses, attendront des mois et des mois à la fenêtre et à la porte le fils, l’amant, l’absent, et, ne le voyant pas revenir, s’arracheront les cheveux en se cognant le front au seuil des maisons.

Nous allions sortir ; un jeune homme étendu