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Page:Lemonnier - Les Charniers, 1881.djvu/256

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sur de la paille près de la porte, me tira par l’habit en me montrant un bout de papier. Il l’avait trouvé dans ses poches et y avait écrit au crayon quelques lignes.

— J’ai une vieille mère qui pleure à l’heure qu’il est, nous dit-il, et voilà un mot que je lui écris. Si vous avez pitié de la douleur, trouvez un moyen de le lui faire parvenir.

Il nous conta qu’il s’était enrôlé pour faire la guerre et qu’il avait un frère soldat comme lui. Il avait été blessé dans les champs de Givonne. On avait crié tout à coup : sauve qui peut ! et il s’était mis à courir comme les autres. Un éclat d’obus lui avait alors coupé à demi le pied et il était tombé. Il se rappelait seulement qu’au milieu de la nuit il avait entendu près de lui un gémissement : il s’était levé sur son coude et il avait vu des ombres qui se traînaient en rampant et d’autres par terre qui ne bougeaient plus. Il avait mis la main à sa jambe, le pied n’y pendait plus que par un lambeau de chair. Il avait voulu couper ce lambeau avec son couteau et il s’était évanoui. Le matin il avait été amputé par un chirurgien prussien.