Aller au contenu

Page:Lemonnier - Les Charniers, 1881.djvu/257

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

Devant l’ambulance, des Prussiens et des Français causaient ensemble ; n’ayant pas les mots pour se faire comprendre, ils conversaient par gestes comme les muets. Ceux qui avaient les mains libres roulaient pour les autres des cigarettes. Ils avaient presque tous des écharpes à la tête, au bras, à la jambe, et s’appuyaient sur des cannes et des béquilles.

Un grand gaillard à face camarde faisait des grimages dans le groupe et se penchait sur épaule d’un petit lignard en poussant la langue. Voyant que je le regardais, il me regarda aussi et se mit à rire, les mains sur les genoux, bêtement et sans bruit, grommelant :

— Franzosenhund ! Hou ! hou !

C’était un bavarois : la mitraille l’avait rendu idiot.

Près de là, deux officiers français, blessés tous deux, s’embrassaient à bras le corps.

— Où vas-tu ? disait l’un.

— En Belgique, répondait l’autre. Et toi ?

— Je reste.

— Prisonnier sur parole ?

— Avant tout soldat français.

— À bientôt alors, nous nous reverrons.