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Page:Lemonnier - Les Charniers, 1881.djvu/48

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litière d’abattoir. Et entassés là-dedans, des hommes avaient de brusques secousses de bétail, les ventres en l’air, avec d’horribles figures lasses. Une lamentation traînait, mêlée au cri des essieux. Et tout en haut, avec son blanc sale, comme un tablier de boucher, le drapeau de la Croix rouge claquait sur cette désolation.

L’ambulance fila comme une vision funèbre.

— Halte ! cria tout à coup une voix éraillée de sergent de la ligne.

La voiture stoppa.

On fouilla la caisse, le dessous des banquettes, les coussins, à la pointe des sabres, et chaque fois que le bois était touché, un choc sourd s’entendait.

— Aïe ! criait le conducteur, pensant aux plaies de sa carriole, presque tendre.

Un cabaret se reconnaissant près de là à son huis surmonté d’une branche de genêt, nous étions entrés. Des paysans braillaient, attablés, les jambières crottées. C’étaient des fermiers des Ardennes. Tandis que leurs attelages fumaient sur la route, ils se coulaient des rasades de piquet. Accroupis ou debout, des soldats fourbissaient près d’eux leurs armes.