Page:Lemonnier - Les Charniers, 1881.djvu/57

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de s’abattre, soûle, dans son vomissement et les autres riaient, leurs lèvres rouges ouvertes comme des plaies.

Nous allâmes.

Bouillon était encombré de familles françaises qui venaient chercher des nouvelles. Des dames passaient, défaites, en sanglotant. Un vieillard, tombé en démence en apprenant la mort de son fils, vaguait, les mains en l’air. Je vis ailleurs une femme, grande, élégante et belle, qui, depuis deux jours, courait les ambulances pour savoir ce qu’était devenu son mari. Elle interrogeait tout le monde, blême, les yeux en feu, n’ayant ni mangé, ni dormi, ni cessé de marcher la nuit et le jour. On n’imagine rien de plus poignant que cette jeune et fière femme, les vêtements en morceaux, pleine de boue et de sang, qui n’avait plus même la force de pleurer et faisait entendre par instants une espèce de hoquet.

La nuit venait : je cherchai un gîte. Plus une chambre. Je demandai une chaise. Plus une chaise. Je demandai une botte de paille. Plus même une botte de paille.

La perspective d’une nuit passée à la pluie