Page:Lemonnier - Les Charniers, 1881.djvu/63

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s’était tari dans son sein ; et elle pétrissait sa chair maternelle, comme un fruit vide de son jus, machinalement.

Alors, une femme, grande et bien vêtue, que j’avais à peine entrevue jusque-là, se leva du milieu de trois enfants qui se cachaient dans ses jupes et alla vers cette misère.

— Donnez, madame, lui dit-elle, j’en ai pour un, Dieu m’en donnera pour deux.

Et, dégraffant sa robe, elle mit le petit sur sa poitrine.

Le logis était encombré : dans la paille des écuries, les hommes et les chevaux couchaient pêle-mêle. Les femmes seules avaient des grabats et nuitaient dans les chambres.

En sortant, nous trouvâmes à quinze pas de là, devant un feu de bois que la pluie étouffait à chaque instant, une famille entière ventrée dans la boue, sous deux charrettes qu’on avait couvertes de branches en manière de toiture.

Sur le feu rôtissaient des pommes de terre ramassées dans les champs. Les enfants criaient. La mère sanglotait. Et brusquement l’homme apparut, disant qu’il revenait de Bouillon où il avait vainement cherché du travail.