Page:Lemonnier - Les Charniers, 1881.djvu/65

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sans yeux, les mâchoires fendues, avec des plaies rouges, et, par un trou rond, l’un d’eux laissait aller le bout d’un boyau. On eût dit plutôt des déchiquetures d’êtres vivants, et ils se traînaient lamentablement en boitant et laissant du sang sur la route.

Leurs conducteurs, sinistres ramasseurs d’épaves, les avaient raccolés dans les campagnes et les conduisaient à l’abattoir. Peau et viande compris, ils avaient supputé que l’équarrissage paierait, avec un surplus qui serait leur gain, les frais de la douane.

Les bêtes s’étant arrêtées un moment, il fallut les mettre en branle. Dur effort. Les croupes s’affaissaient, les têtes pendaient à terre, un commencement d’agonie les immobilisait.

Les hommes tapèrent alors à coups de trique. Les vertèbres sonnaient comme du bois. Cette boucherie énorme remua enfin, mais un grand bai-brun, qui avait la jambe cassée, tomba tout à coup, entraînant avec lui un mulet dont les reins étaient écrasés ; nous coupâmes les cordes et la funèbre procession repartit, le bai-brun et le mulet en moins, qui restèrent sur le chemin.