Page:Lemonnier - Noëls flamands, 1887.djvu/166

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Il prit ensuite le livre, le tourna et le retourna dans tous les sens, l’approcha de son visage pour se délecter de l’odeur du vernis, et finalement l’ouvrit, se réjouissant dans son âme de la beauté de la couverture.

Qu’est-ce qu’il allait voir à présent ?

Son cœur battait très vite, et tout à coup son œil brilla étrangement. Sur le beau papier satiné, au milieu des blancheurs glacées de la première page, venait de lui apparaître un dessin colorié qui représentait Cendrillon.

Elle était toute mignonne, les joues de la couleur des pêches en septembre, avec de petites mains tournées en dedans, comme des coquillages ; sous le bord de sa robe tissée d’avril que l’enlumineur avait nuancée de tons gorge-de-pigeon, s’avançait le bout de son menu pied, chaussé d’une imperceptible pantoufle. Qu’elle était jolie ! Elle rougissait, elle baissait les yeux comme si elle eût voulu se dérober aux regards ardents de Jean Bril.

Alors, le cœur palpitant, il fit voler sous son doigt les pages l’une après l’autre, et, à mesure qu’il les feuilletait, de grandes images de pourpre et d’azur, pareilles aux figures qu’il avait vues sur les vitraux de Sainte-Gudule, se déroulaient devant lui avec une mystérieuse splendeur.

Quand M. Muller eut passé suffisamment son café dans son ramponeau et qu’il eut mis sur la table le pain et le beurre, il dit à Jean :

— Allons, Jean, mets là ton livre et viens souper.

Mais Jean n’avait ni faim ni soif : il ne pensait plus à rien qu’au beau livre, et bien qu’il eût une envie folie de le lire, il ne voulait pas encore le commencer, pour rendre son plaisir plus grand par l’attente.