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n’était pas grande, car il était aimé de tout le monde et les gens qui lui voulaient du mal étaient aussi rares que les puces dans sa tunique.

Bon Hans Bergman ! Ce fut un beau jour celui où pour la première fois, il promena par les rues sa capote neuve de sergent. Il n’était pas fier, mais il ressentit une douce chaleur au cœur lorsque de simples soldats, ses frères de la veille, lui firent le salut militaire. Un dimanche, sa mère vint à la ville. Il la conduisit à la promenade, puis au spectacle ; et la bonne mère rougit de plaisir à la vue des jeunes filles qui du coin de l’œil lorgnaient son beau sergent, pensant peut-être au bonheur d’appuyer leur main mignonne sur ses galons.

Malheureusement la nature, qui avait donné toutes les vertus à Hans Bergman, avait oublié de lui donner l’esprit d’ordre et de prévoyance. On ne gagne pas au service de son pays ; pourtant, de pauvres sergents parviennent quelquefois à économiser sur leur solde un peu d’argent pour le jour où ils se marieront.

Il n’en fut pas ainsi de Hans ; sans être grand dépensier, l’argent glissait entre ses doigts comme de l’eau. Les mois se passaient, amenant l’un après l’autre un cortège de petites dettes qui mettaient à la torture l’esprit du sergent. Vainement il s’imposait pendant six jours les plus grandes privations ; on le voyait alors, accroupi sur une table de la caserne, lire du soir au matin pour éviter de penser à sa pipe, à la bière, aux parties de cartes qu’on fait à l’estaminet ; mais le septième jour, il fermait son livre et se remettait à fumer, à jouer et à boire ses douze pintes en causant avec les camarades.

Douze pintes ! ce n’était pas une grosse dépense, et pourtant il ne savait comment, ces douze pintes faisaient à la fin un total effrayant. Ce que Hans ne s’avouait pas,