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Page:Lemonnier - Noëls flamands, 1887.djvu/286

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c’est que le plus clair de son argent allait aux pauvres gens qui souffrent la faim et le froid par les rues, et sa blague à tabac était toujours ouverte aux simples soldats qui y puisaient comme si le tabac ne lui eût rien coûté.

— Bah ! se dit le bon sergent, à bout d’efforts pour restreindre son budget, le lieutenant payera les dettes du sergent.

Et il s’endormit d’un sommeil plus tranquille, plein de confiance dans l’avenir.

Tout réussit, dit le proverbe, à qui sait attendre ; le proverbe eut en partie raison pour Hans Bergman ; car il devint lieutenant, mais la dette, au lieu de diminuer, ne fit que s’accroître.

Passe pour un sergent de fumer la pipe par les rues et de manger à la table de la caserne ; on n’est pas obligé de s’installer en pleine lumière à la comédie et l’on escamote la dépense des gants en mettant ses mains dans ses poches. Mais un lieutenant !

Hans connut alors de belles jeunes filles ; il les vit aux soirées, chez des amis ; il les fit danser au bal ; il les accompagna à la promenade, et sa solde en subit le contre-coup.

Si encore ce n’avait été que cela ! Malheureusement un lieutenant ne peut pas, comme un sergent, donner de la menue monnaie aux pauvres gens qui lui disent en nasillant par les temps de bise : « La charité, mon bon, mon beau lieutenant ! » C’est que la charité a aussi ses exigences et la pièce blanche sortait plus souvent que les liards de cuivre de la poche du lieutenant.

Hans Bergman était à présent un gros garçon blond et rose, de bonne mine. Ses dents souriaient toutes blanches à la joie de vivre ; la seule ombre à cette lu-