Page:Lemonnier - Noëls flamands, 1887.djvu/40

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liers. Non, il n’y avait pas dans Termonde de plus coquet bateau ni de mieux fait pour supporter les grandes fatigues : c’était plaisir de le voir filer, dans l’eau où il enfonçait à plein ventre, chargé de grains, de bois, de pailles ou de denrées, avec sa grosse panse brune rechampie de filets rouges et bleus, sa quille ornée du long poisson d’or aux écailles arrondies, son pont luisant et son petit panache de fumée tirebouchonnant par le tuyau de fer verni au noir.

Ce jour-là, le Guldenvisch avait chômé comme tous les bateaux de l’Escaut : il était amarré à un gros câble, ne laissant voir, vers les sept heures du soir, que la lueur claire qui rougissait le bord de sa cheminée et ses lucarnes brillantes et rondes comme des yeux de cabillaud.

C’est qu’on se préparait dignement à fêter la Saint-Nicolas dans la petite chambre qui est sous le pont ; deux chandelles brûlaient dans des flambeaux de cuivre et le poêle de fonte ronflait comme l’eau qui se précipite des écluses, quand l’éclusier vient de les ouvrir.

La bonne Nelle poussa la porte et Tobias entra sur ses pas, l’œil empli des lointaines tendresses que sa mémoire venait d’évoquer.

— Maman Nelle, fit alors une voix jeune, je vois les fenêtres rondes qui s’allument partout, l’une après l’autre, sur l’eau noire.

— Oui, Riekje, répondit Nelle, mais ce n’est pas pour voir s’allumer les fenêtres sur l’eau que vous demeurez ainsi contre la vitre, mais bien pour savoir si Dolf le beau garçon ne va pas rentrer au bateau.

Riekje se mit à rire.

— Maman Nelle voit clair dans mon cœur, dit-elle en s’asseyant près du feu et en piquant l’aiguille dans un bonnet de nouveau-né qu’elle tenait à la main.