Page:Lemonnier - Noëls flamands, 1887.djvu/57

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— Dolf ! Au secours ! crie encore le vieil homme.

Et de ses mains qui tremblent il lui montre ses habits ruisselants d’eau.

— J’ai trois enfants, Dolf, et pourtant j’ai déjà plongé deux fois, mais les bras ne vont plus.

Dolf se tourne vers les figures pâles qui font cercle autour de lui :

— Lâches, s’écrie-t-il. Il n’y en a donc pas un parmi vous qui veuille sauver un homme qui se noie ?

Mais la plupart courbent le front et haussent les épaules, comprenant qu’ils ont mérité cette injure.

— Dolf, crie de nouveau le vieux, aussi sûrement que la mort est la mort, je descendrai encore une fois, si vous n’y allez pas vous-même.

— God ! god ! Le voilà ! s’écrient en ce moment les gens qui promènent les falots sur l’eau. Nous avons vu ses pieds et sa tête. À l’aide !

Dolf jette au loin son habit et dit froidement au batelier :

— J’irai.

Et il dit encore :

— Qu’un de vous coure jusque chez madame Puzzel et la ramène sans tarder au Guldenvisch.

Puis il fait le signe de la croix et murmure entre ses dents :

— Jesus-Christus, qui êtes mort sur la croix pour racheter les hommes, ayez pitié de votre créature.

Il descend vers la rive, la poitrine nue, et la foule qui le suit tremble pour sa vie. Il regarde un instant le fleuve traître sur lequel les flambeaux égouttent des larmes de sang, ainsi qu’il regarderait sa propre mort. Et comme quand un gros poisson frappe l’eau de sa queue, le fleuve bouillonne.

— Le voilà ! répètent les mêmes voix.