Page:Lemonnier - Noëls flamands, 1887.djvu/58

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Alors l’abîme s’ouvre.

— Riekje ! a crié Dolf.

Et comme une prison, le flot froid se referme sur lui. Des ondulations qui s’élargissent rident seules la noire étendue que la lumière des torches fait paraître plus noire encore. Un silence lourd règne parmi le groupe qui regarde de la rive. Quelques hommes entrent à mi-corps dans le fleuve qu’ils battent avec de longues gaules ; d’autres déroulent des câbles qui vont à la dérive ; trois d’entre eux se sont glissés dans un canot et rament sans bruit, en ayant soin de remuer les falots à ras de l’eau. Et l’homicide Escaut coule comme de l’éternité avec un murmure doux, en léchant la rive.

Deux fois Dolf remonte à la surface et deux fois il disparaît : on voit ses bras qui s’agitent et sa figure blanchit vaguement dans la nuit. Il fend de nouveau le gouffre glacé et plonge au plus profond. Subitement ses jambes s’immobilisent comme nouées avec les algues perfides par les rancuniers Esprits des eaux. Le noyé s’est accroché à lui et il comprend que, s’il ne parvient pas à se dégager, c’en est fait de l’un comme de l’autre. Ses membres sont plus étroitement scellés que s’ils étaient rivés dans un écrou. Alors une lutte horrible s’engage et ils descendent dans les boues du lit. Tous deux frappent, mordent et se déchirent, comme de mortels ennemis, dans les ténèbres roulantes. Dolf prend à la fin le dessus ; les bras qui le paralysaient cessent de l’étreindre et il sent flotter à présent le long de son corps une masse inerte. Une lassitude funeste comme le sommeil s’est emparée de lui, sa tête penche en avant et l’eau lui entre dans la bouche. Mais la lueur des falots perce l’épaisseur des flots ; il rassemble ses forces, entraînant après lui cette proie qu’il vient de dis-