Page:Lemonnier - Un mâle, Kistemaeckers, 6e éd.djvu/128

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Puis ses nerfs se calmant, elle pensa qu’après tout la vieille avait peut-être cédé à une bonté d’âme. On ne sait pas : les vieilles, c’est si singulier ; ça a des idées !

Et elle reparla du temps où sa mère vivait, où la Cougnole venait à la ferme. On l’appelait quand une vache était sur le point de vêler. Elle connaissait les bêtes. Quelquefois elle soignait aussi les gens comme garde malade. Même elle avait aidé sa mère, pour son dernier garçon. Et cela la remettant sur le chemin du passé, elle se revit petite fille, esseulée dans la maison du garde Maucord ; elle avait grandi au fond d’une ombre froide ; elle n’avait pas été heureuse. Du reste, elle ne l’était pas davantage à présent. Des choses lui manquaient ; elle aurait dû se marier jeune. Et elle cita le nom des prétendants qu’elle avait refusés.

— On est si bête !

Un attendrissement la gagnait. Il la serra contre lui, disant de bon cœur, dans une soudaineté d’émotion :

— Vrai ? T’es pas heureuse !

Elle leva les yeux sur lui. Sa face résolue s’amollissait sous une douceur. Tous deux se regardèrent alors et il l’embrassa. Elle se laissa faire.

Le sentier filait dans un emmêlement de taillis. Il écartait les branches au fur et à mesure. Quand ils avaient passé, les branches se rejoignaient avec un bruit de soie froissée et quelquefois leur cinglaient le dos. Des brindilles s’accrochaient aux cheveux de Germaine. Par instants, un morceau de sa robe demeurait pris. Et ils avançaient dans la senteur des terres humides, ayant sur eux le verdissement pâle des feuillées. Entre les feuilles, des bouts de ciel faisaient des trous bleus, éclatants.

Comme en cet autre jour où Célina et elle avaient gagné à travers bois la kermesse, elle éprouvait un engourdissement vague de la pensée et du corps. La gaîté des