Page:Lemonnier - Un mâle, Kistemaeckers, 6e éd.djvu/133

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d’autant plus lâche de l’avoir trompé dans sa confiance paternelle.

La journée se passa dans ces défaillances. Un ciel gris s’apercevait à travers les arbres, noyait leur verdure dans des tons sourds d’une douceur triste ; et une pluie fine tomba.

Les fumiers dorés s’embrumèrent alors d’une vapeur pâle. Une humidité monta des pavés. Lentement les bruits s’étouffèrent dans un demi-silence lourd, et elle continuait d’être obsédée par ses idées, sentant son cœur se gonfler des mélancolies de la pluie claquant à terre et coulant des gouttières avec un gloussement monotone. Les poules s’étaient tassées sous les charrettes, dans les hangars. Elle voyait les vaches pelotonnées se remuer avec des grands mouvements lents dans les fumiers bleus de l’étable. Par moments un chat traversait le pavé en trottant, les oreilles couchées, très vite. La pluie mettait ses rayures minces sur la cour demeurée vide, où personne ne passait plus.

Cette tranquillité lui rappela le silence de la veille, alors qu’elle s’était couchée sur la charrette aux trèfles ; un engourdissement l’avait saisie sous le midi brûlant, et elle se revoyait languissante, préparée à l’amour par les complicités de l’air. Elle ouvrit la fenêtre, aspira longuement la fraîcheur de la pluie, pour oublier. C’était bon, cela, ah, oui ! et elle fermait les yeux, se réfugiait dans des pensées calmantes. Peine inutile ! L’odeur des fumiers, pénétrant dans la chambre, lui remettait en mémoire les lâchetés de sa chair ; et cette odeur était plus âpre encore sous cette pluie qui remuait les fermentations anciennes. Des vagues de senteurs montaient de l’énorme fosse, caressaient sa narine. Elle eut une colère et poussa la fenêtre, ne voulant plus se perdre au milieu de ces sensations.