Page:Lemonnier - Un mâle, Kistemaeckers, 6e éd.djvu/139

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près ; le reste de la terre n’existait pas. Et elle était assommée que cette petite Célina se mît à tout bout de champ pour elle dans des états ridicules. Elle haussait les épaules, pinçait les lèvres, avait toute la peine du monde à ne pas la remballer.

Célina ne voyait rien. Ses yeux pâles et mouillés semblaient faits pour flotter dans des atmosphères vagues, par-dessus les choses réelles. Elle revenait à Germaine avec l’obstination humble du chien que ne rebutent pas les coups.

Germaine, pourtant, avait avec elle des moments d’abandon. Quelquefois, un besoin invincible de confidences amollissant sa dureté, elle aurait voulu l’écraser sous ses bonheurs d’amour, la faire saigner au récit de ses rendez-vous avec le braconnier, être pour elle un objet d’admiration profonde. Une clarté noyait alors ses yeux : elle posait sur Célina son sourire tranquille ; des aveux lui montaient aux lèvres, et elle restait à la regarder, toute frémissante, la bouche ouverte, comme pour parler. Ce qui la rendait indécise, c’était de commencer. Elle cherchait le premier mot. Mais une défiance s’emparait d’elle tout à coup ; le sourire s’effaçait au coin de sa bouche ; son œil redevenait sec, et elle se renfermait dans son silence prudent de paysanne. Cette petite Célina n’aurait eu qu’à bavarder ; cela ferait un beau grabuge, et elle la plantait là, avec un large dédain de la savoir ignorante des choses qu’elle connaissait.

Célina la regardait partir de ses yeux étonnés et doux, trouvant toute chose naturelle de sa part. Elle ne se gênait pas d’ailleurs pour dire aux gens, avec une conviction naïve, qu’elle était peu de chose à côté de cette grande fille brune. Elle s’était amourachée de ses larges épaules et de ses mouvements brusques, où perçait une virilité lointaine. Elle, au contraire, était blonde, petite, l’épaule