Page:Lemonnier - Un mâle, Kistemaeckers, 6e éd.djvu/143

La bibliothèque libre.
Cette page a été validée par deux contributeurs.

contre le sien, dardant du fond de ses yeux ses regards aigus, et l’obligeait à lui répéter constamment la même chose.

— Voyons… Là, encore… Regarde-moi bien en face.

Quelquefois il l’arrêtait :

— Non, t’as pas bien dit cette fois.

Elle le battait, impatientée.

— Grande biesse !

Puis, un peu de tristesse le prenait.

— T’as raison, j’suis bête. Mais quand j’pense qu’ça peut venir que t’aurais plus rien pour moi, ben ! j’sens ma tête qui tourne comme un moulin.

Elle haussait les épaules, doucement.

Ils demeuraient ensemble jusqu’à l’ombre pleine. Le silence s’appesantissait autour d’eux, mettait une gravité sur leur isolement. Leurs visages faisaient une tache plus claire dans le noir. Ils s’asseyaient l’un près de l’autre, regardant augmenter cette blancheur et se chuchotant des choses caressantes, à demi-voix.

D’autres fois, muets, ils écoutaient frissonner le bois, au fond de cette marée de nuit qui, petit à petit, s’élargissait de la terre au ciel. Et rien ne leur était bon comme d’être à chaque instant un peu plus engloutis dans l’énorme vague noire.

C’était elle qui lui rappelait l’heure, toujours.

— Déjà ? disait-il.

Et il se lamentait, ne pouvant se résigner à la séparation. Il prenait sa tête à deux mains, avec désespoir, et suppliait Germaine de rester encore. Ou bien, il l’emprisonnait dans ses bras, et riant de son mauvais rire, il lui criait :

— Pars à c’te heure !

Elle devait le supplier à son tour de la lâcher. Elle invoquait des raisons, son père, ses frères, la nécessité d’être