Page:Lemonnier - Un mâle, Kistemaeckers, 6e éd.djvu/165

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d’même, si c’était pour durer, faudrait pas se voir trop souvent, vrai ! Les gens mariés, par exemple…

— Eh bien ?

— … n’ s’aiment plus. Oh ! ça, c’est la vérité.

Il secoua la tête.

— J’vois ben quoi tu veux !

Elle eut une secousse imperceptible et levant les yeux vers lui :

— Quoi ?

— J’vas te dire. Tu es une mamzelle ; moi, j’suis un homme tout court. T’as des idées. J’te gêne.

Il accentuait chaque mot d’un hochement de tête, calme, avec un peu d’émotion seulement dans la voix.

Et continuant :

— Alors, comme ça, tu m’aurais pris pour t’amuser ! J’serai été dans tes mains comme qui dirait une poupée ! C’est-y ça ?

Elle mit la main sur sa bouche.

— Tu sais ben que non.

— Alors ?

— Alors, j’veux dire seulement qu’on a plus de plaisir à s’voir quand on ne s’voit pas tous les jours. On s’mangerait de s’revoir.

Il l’écoutait parler à présent, avec une stupeur triste.

— T’es plus homme que moi, fit-il à la fin. Moi, plus j’te vois, plus ça me tient de t’voir.

Il y eut un silence dans la chambre, devenue tout à coup morne comme un cimetière, tandis que derrière le mur ronflait le vent dans les grands arbres lourdement secoués.

Il reprit :

— T’ faut’y que j’ m’en aille un petit temps, alors, dis ?

Sa voix tremblait. Elle plongea ses yeux au fond des