Page:Lemonnier - Un mâle, Kistemaeckers, 6e éd.djvu/218

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— Ce qui est fait est fait, Germaine. Y a pas à revenir dessus. L’homme était sur son cheval. J’l’ai mis à bas, j’l’ai roulé, j’lui ai demandé s’y t’connaissait. Y a dit qu’oui. J’l’aurais vidé de son sang. Demain donc, p’t-être à c’t’heure déjà, tout le monde sait qu’t’as un galant et que c’galant, c’est moi. Tant qu’à lui, y t’crachera dessus. C’est pas un homme, c’est un M. le curé. Ben, v’là. J’en ai assez de ma sacrée vie. J’en veux plus, j’veux finir. Toi, c’est tout comme. On dira que t’es la commère à un losse T’es plus bonne à rien qu’à rouler ta bosse avec moi dans les bois. J’ai sur moi mon couteau, j’vas nous tuer.

Elle poussa un cri, se dressa. Il l’avait saisie par la taille et l’attirait avec sa force irrésistible. Elle se sentait venir à chaque instant un peu plus, malgré sa défense, et le buste rejeté en arrière, cherchait à mettre entre elle et lui sa main large étendue, pour ne pas voir le couteau qu’il tirait de sa poche. Elle le connaissait bien, ce couteau, long, pointu, effroyablement aiguisé ; il s’en servait dans ses chasses, et des rouilles de sang le tachaient, demeurées là des entrailles dans lesquelles il l’avait plongé.

Il l’avait ouvert ; le fer reluisait dans sa main droite, à demi-cachée derrière son dos. Et tandis que cette main bougeait, comme indécise du point où elle allait frapper, elle vit passer dans l’œil de son amant des tendresses suprêmes. Alors des mots lui vinrent à la gorge, avec des spasmes, des cris rauques, inarticulés ; et elle se débattait, lui lacérait les poignets du tranchant de ses ongles, affolée, regardant toujours les éclairs du couteau.

Un instant, elle lui échappa. D’un bond elle fut à la porte ; mais il la ressaisit avant qu’elle eût eu le temps de poser la main sur le verrou. Cette fois, il l’avait prise par le cou. Ses doigts entraient dans sa nuque, la tordaient en arrière. Et il continuait à la contempler, comme ayant