Page:Lemonnier - Un mâle, Kistemaeckers, 6e éd.djvu/22

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bourgeons craquaient ; des feuilles, grasses de sève, se déroulaient ; un spasme sembla soulever le terreau fumant et mou.

L’homme épiait les fenêtres de la ferme. Elles étaient closes encore et la maison semblait dormir, bien que le toit fumât et que la vie remplît déjà les cours.

Toute la nuit, il s’était repu de la vision de la belle et l’avait mêlée à sa noire besogne de vagabond des bois. Il ramassa des pierrailles et les lança du côté de la fenêtre ; mais elle était trop éloignée. Il se rapprocha.

Des vaches sortirent, se suivant à la file et ballant leur tête cornue. Une fille, la même qu’il avait aperçue la veille, les chassait devant elle, criant : Hue ! Ja ! et frappait du plat de la main, comme d’un battoir, celles qui s’écartaient. Ses jambes faisaient une tache rouge dans l’herbe. Il ne les vit pas.

Le troupeau s’engouffra dans le verger, monta la pente, s’étala avec sa belle tache mouchetée sur le vert des herbes, et la fille ayant fermé les clôtures, reprit le chemin de la cour.

L’homme gagna les bois. Un chêne avait poussé parmi les hêtres. Il monta sur le chêne, atteignit une haute branche et s’assit dessus, les jambes pendantes : de là, il dominait la ferme.

Des allées-et-venues remplissaient la cour. Il vit brouetter à la fosse les fumiers de la nuit. Une charretée de colza fraîchement coupé encombrait un hangar de son jaune éclatant. Et, par moments, une silhouette remuait derrière la fenêtre au rez-de-chaussée, agitée et furtive. Ses yeux se dilataient alors, cherchant à reconnaître dans cette ombre vague la femelle de ses songes.

Le fournil soudainement fuma et une odeur de bois brûlé se répandit dans l’air. Puis une voix sortit de la maison et la silhouette se détachant de la vitre, un instant