Page:Lemonnier - Un mâle, Kistemaeckers, 6e éd.djvu/242

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la table des Hulotte à la table des Hayot, curieux, tenaces, quelquefois narquois. Hubert alluma un cigare longuement. Il avait les joues blanches et les oreilles rouges. Il regardait brasiller la cendre de son cigare tout en causant, pour n’avoir pas à subir le choc des prunelles qu’il sentait posées sur lui. Donat, plus résolu, ricanait en dodelinant la tête de leur côté. Un brouillard enveloppait cette partie du cabaret où les pipes et les cigares rougeoyaient, fumés par grosses bouffées. Warnant remuait sur son banc, à bout de sang-froid, et soufflait dans ses joues, cramoisi, en sueur, âpre à cette rixe qui n’aboutissait pas. Des jurons s’étouffaient entre ses dents, entendus toutefois des Hayot, et il les accompagnait de coups de poing sur la table, de brusques mouvements d’épaules.

Il éclata.

— Hubert Hayot, dit-il, j’te crache à la face comme j’crache ici, tiens !

Et il cracha à terre, en effet, avec un mépris violent.

Hubert hocha la tête d’une épaule à l’autre, et répondit, haussant cette fois jusqu’à lui ses yeux vacillants :

— Crache, fieu ! Ta salive te retombera sur le nez.

Il y eut des rires. Hulotte se leva.

— Viens m’dire ça à la porte, si t’as du cœur.

Hubert ne bougea pas.

— Y ne me plaît point, fit-il.

— Ben, à moi, si ! Y m’plaît, j’te dis. Et j’t’appelle vaurien, lâche, triple coïon !

Là-dessus, Warnant franchit l’espace qui le séparait de la table et se rua vers cette face blême qui se balançait. Hubert se dressa à son tour, effaré, tout à coup pris de fureur. Debout, le corps posé sur une jambe, l’autre jambe tendue en avant, il l’attendait, brandissant son verre.