Page:Lemonnier - Un mâle, Kistemaeckers, 6e éd.djvu/279

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Il se glissa dans l’ombre, en rampant. Son fusil ne le quittait plus : chaque tronc d’arbre pouvait recéler un ennemi ; les branches, en se déroulant tout à coup, pouvaient devenir des bras humains. Et il allait, prudent, les oreilles au guet, prodigieusement attentif à la conspiration des choses. Les vapeurs violettes du couchant lentement se dissolvaient dans le bleuissement accru de la lune. Un fleuve de clartés pâles s’épanchait par les chemins, noyant dans les ondes la rondeur des arbres. Çà et là des clairières blanchirent ; des lueurs phosphorescentes tremblèrent dans l’épaisseur des feuillées. Et béante, tout le jour, sous la morsure d’un soleil torride, la création connut la bénignité du soir.

Redoutable était cette nuit claire pour l’homme. La silhouette fugitive des lapins posait sur la lumière blanche des taches sombres, nettement accusées. Il voyait bouger des dos, des reins, des oreilles, sans mystère. Ainsi devait-il en être de lui. Et il redoublait de ruses et de précautions pour n’être pas trahi. Rien pourtant n’indiquait plus la vigilance des hommes dans cette douceur profonde de la nuit. Un murmure à peine perceptible traînait dans les taillis, puis s’assoupissait, pareil à une haleine. Le vent frôlait les feuilles de chatouilles amoureuses, qui plus loin se perdaient dans l’immobilité des arbres. Les seuls bruits qu’il entendait étaient le craquement de la terre sèche sous son pied et les pourchas confus des bêtes dans l’ombre.

Il gagna la lisière du bois.

Un immense ciel argenté s’appuyait sur la plaine, troué par les étoiles. Les moissons, baignées dans la lumière, ressemblaient à la nappe immobile d’un lac. Il vit luisarner dans la profondeur, par-dessus le déroulement des bois, la crête d’un toit d’ardoises, et, subitement ému, presque défaillant, il s’assit, regarda longuement le toit