Page:Lemonnier - Un mâle, Kistemaeckers, 6e éd.djvu/284

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vitesse de ses jambes alourdies par la pesanteur des bottes. Le fugitif, au contraire, alerte et libre, s’allongeait, gagnant du terrain. Le gendarme fit un dernier effort, puis voyant que la distance s’accroissait, rendait la poursuite impossible, il s’arrêta, coucha l’homme en joue et fit feu.

Cachaprès trébucha.

Un choc terrible lui avait fracasse l’épaule, la tête, les omoplates, il ne savait quoi. Il s’aplatit, assommé sur les mains. Des feux tournoyaient devant ses yeux ; le verger prit une rougeur d’incendie ; sa cervelle s’emplit de vacarmes, de bruits de cloches battant ses tempes à les casser ; et tout à coup il se releva et se remit à courir du train d’un loup blessé, doublant ses enjambées.

Un instant encore et il atteignait la lisière du bois.

Une forme sombre se dressa, lui barrant le passage.

Il y eut un commandement rapide.

— Merde ! cria le bougre, à pleins poumons, et, faisant tourner son fusil comme une masse au-dessus de sa tête, il l’abattit sur le garde.

Une voix hurla à quelques pas :

— Tue ! Tue !

C’était le gendarme qui s’était remis à courir. Le garde leva son fusil de son bras droit demeuré valide et tira, au jugé, sans viser.

Cachaprès était reparti d’un bond, échappant à la balle qui, cette fois, avait labouré le tronc d’un chêne. Il courait devant lui, à perdre haleine, fouettant les feuillages du vent de sa course. Le sang-froid lui revenait. Il entendait distinctement dans l’éloignement le galop d’une troupe lancée après lui. Il lui parut même, à la retombée sourde des pieds battant le sol, que le nombre de ceux qui le traquaient avait doublé ; c’était un piétinement incessant et brusque qui par moments s’accélérait. Les