Page:Lemonnier - Un mâle, Kistemaeckers, 6e éd.djvu/289

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prochant elle-même de ses dents. L’eau coulait en lui avec la douceur d’un baume, lui donnait une seconde d’apaisement.

Aux heures accablantes, succédèrent les heures tièdes. L’ombre s’allongea au pied des arbres. Un poudroiement d’or dansa dans la lumière rembrunie, et solennellement, le soleil entra dans les gloires du couchant. Dès ce moment, les paroles se firent rares entre P’tite et lui : des râles lui déchiraient la gorge, plus pressés à mesure que s’avançait la nuit. Et elle continuait sa garde rigidement, oubliant le boire et le manger, elle, la maigre fille toujours affamée ; mais ses entrailles avaient beau se tordre et crier. Elle le veillait avec la fidélité du chien, immobile, sans penser à la faim. La gravité du soir enveloppa ce groupe farouche.

Quelquefois il se dressait et implorait la mort :

— Les coïons ! Y z’auraient dû m’achever ! J’suis pas un païen pour souffrir ainsi !

Sa tête retombait ensuite, pesante comme le plomb. Il faisait des gestes de combat, croyant voir des silhouettes hostiles, et ces gestes étaient encore redoutables. Ou bien il prononçait le nom de Germaine, comme on savoure une volupté, un fruit, lentement, profondément, de toute la tendresse de ses entrailles, répétant ce nom cent fois avec la douceur triste d’un bégaiement. Et P’tite alors était prise de rage, caressant dans sa cervelle sauvage des idées de représailles contre cette fille riche qui le laissait crever là.

Une mansuétude flottait dans l’immensité bleue ; l’air était comme de la paix et de la bonté mêlées à la création, par-dessus la majesté des futaies ; et un vent caressant frôlait le dessous du ciel, mystérieusement secouait les feuillages, pareils à des bras tremblants qui cherchent à s’étreindre. Le hallier baignait dans une nappe de clartés