Page:Lemonnier - Un mâle, Kistemaeckers, 6e éd.djvu/38

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Pour son coup d’essai, il avait franchi une haie de clôture, courte, ventrue, et le lendemain il franchissait une palissade en planches, énorme, qui faisait le tour d’un bois de seigneur ; la belle chasse gardée qu’il trouva le mit en goût. Alors il ne regarda plus à rien, entra dans la propriété des gens, fit son butin de ce qu’il pouvait attraper. C’était à présent un garçon bâti en hercule, avec des jambes taillées pour la course, des poumons de cheval, un poing à assommer les bœufs ; les jours de chômage, par défi ou passe-temps, il s’amusait à soulever des charrettes, d’un mouvement lent de ses reins de fer, et, dans les bagarres, fracassait tout sous la volée de ses coups. La liberté, la vie sauvage, l’exercice de sa volonté à toute heure du jour lui avaient composé une beauté faite d’audace, de rudesse mâle, d’accord parfait de toutes les parties de son corps.

Il avait des marchands et se piquait d’honnêteté en affaires. On l’estimait pour sa manière large de traiter les marchés. Quelquefois, par bravade, il allait lui-même porter son gibier à la ville, trinquant, en chemin, avec les gardes, auxquels il disait ses ruses, et leur offrant de leur procurer du gibier pour la table de leurs maîtres.

— Des battues, disait-il, y font des battues, et y sont dix, vingt ! Moi, j’fais ma battue à moi tout seul ! Et j’connais les bêtes par leur petit nom, je les appelle ; y viennent comme à leur mère !

Il raillait les chasseurs, les gardes, les gendarmes, leur promettait du plomb en riant, si jamais ils le serraient de trop près, finissait par leur montrer ses bras nus, avec leurs biceps roulant comme des boules.

Il était très surveillé pourtant. Des gardes s’étaient mis un jour à quatre pour le pincer. Il était monté sur un arbre, avait épié leurs mouvements, entendu leurs projets, et tout à coup leur avait crié d’en haut :