Page:Lemonnier - Un mâle, Kistemaeckers, 6e éd.djvu/42

La bibliothèque libre.
Cette page a été validée par deux contributeurs.

ne voyait rien au-delà de la grosse sensation d’être à deux un instant. La tendresse lui échappait.

Le temps des kermesses était surtout pour lui une occasion de s’amuser avec les commères. Il leur payait bouteille, les lançait dans les entrechats des contredanses, les entraînait derrière les haies. Il lui suffisait qu’elles fussent amples et dodues, avec des dents propres. Et il n’avait pas connu les fréquentations durables.

C’est alors qu’il vit s’épanouir le sourire de Germaine dans un sourire de mai. La fleur des pommiers seule était aussi abondante que la floraison qui, brusquement, poussa en lui ; cela germa comme une graine, monta comme une sève, le remplit des pieds à la tête comme un débordement.

Il l’aima, sans s’en rendre compte, à travers la neige des étamines, l’aile des papillons, la blancheur du matin, comme l’incarnation de tout ce qu’il y avait pour lui de désirable sur la terre, l’ombre des bois, la tiédeur de la plaine, les vergers pleins de fruits, le meurtre, le vol, la liberté.

Il l’aima comme un gibier rare et difficile, comme une proie inaccoutumée, sentant s’accroître son goût pour elle de la supposer vierge, c’est-à-dire gardée, à l’égal des chasses dont il avait dû escalader les clôtures.


Séparateur