Page:Lemonnier - Un mâle, Kistemaeckers, 6e éd.djvu/90

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de bœuf ; quelques-uns, après avoir mangé, se jetèrent pendant une heure sur des bottes de paille, au fond des hangars. Le soleil cuisait, du reste, allumant une réverbération aveuglante, à ras du pavé. Les toits de chaume, tapés à cru de ce jaune d’or de la lumière de midi, avaient des tons de poisson rissolant à la poële. Des bouffées de chaudière sortaient des maçonneries surchauffées. Et, tout à coup, la gaîté un instant assoupie se réveilla. Cette fois, elle allait durer jusqu’à la nuit. Les cabarets se remplirent de tablées plus compactes alors. Un moutonnement de foule ondula aux abords des endroits où l’on buvait Les pompes à bière gloussèrent sans discontinuer. Et le houblon fut absorbé par baquets.

Le seuil des portes était occupé par les vieilles femmes, en cornettes propres. Elles étaient assises, leurs mains repliées sur les genoux, et regardaient passer la joie dans le chemin. Le plaisir d’être encore de ce monde, après tant de kermesses dont elles avaient eu leur part, mettait une détente sur leurs faces boucanées, éraflées d’une infinité de raies. Leurs rides souriaient. Et elles demeuraient là, réjouies, remplies du temps passé.

Le village, à présent, débordait dans la rue. Des bandes de filles, au nombre de six et de dix, passaient bras dessus bras dessous, occupant la largeur du pavé. Leurs robes bleues, vertes, blanches, à pois rouges et jonquille, faisaient dans la lumière comme des trous de couleur. Et elles s’avançaient, marchant lentement et se balançant sur leurs hanches. La pommade donnait à leurs chevelures des brillants de plaques de métal. Des collerettes montaient en tuyaux dans leurs cous bruns. Les niaises baissaient les yeux, étourdies de leur luxe de toilette, et les autres hardiment jetaient de leurs lèvres rouges des volées de sourires aux garçons qui se poussaient du coude sur leur passage.