Page:Lemonnier - Un mâle, Kistemaeckers, 6e éd.djvu/91

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Une grosse concupiscence s’allumait dans la foule. Celle-ci s’écoulait le long des maisons, d’un mouvement continu qui traînait sur le pavé, avec un frottement monotone, et un peu plus loin gagnait la campagne, enfilait les sentiers, se débandait derrière les haies. Des marchandes avaient installé des tables contre le mur de l’église. C’était une invitation qui arrêtait les hommes, les filles et les enfants, les retenait devant les étalages avec des regards de convoitise. Il y avait là, sur des nappes à carreaux rouges et blancs, des bocaux de pains aux amandes, de boules en sucre, de gimblettes et de macarons. Des paquets de saucissons pendaient, plaqués de rondelles de graisse Des pains d’épices s’amoncelaient, avec leurs croûtes luisantes. Et sur les assiettes séchaient des tartes à la confiture de pruneaux, saupoudrées de sucre et de poussière. On voyait, en outre, des cigares, des pipes, des poupées à tête de cire, des mirlitons, des trompettes en bois, et, dans un carton spécial, des boucles d’oreille, des broches, des anneaux, toute une joaillerie de pacotille, émaillée de pierres rouges, jaunes et vertes, auxquelles le soleil arrachait des flambées. En face des marchandes, de l’autre côté de la place, des êtres noirs, patibulaires, avaient installé des tirs. Une chandelle étant la cible, il fallait la souffler avec la chasse de vent que faisait le coup en partant.

Il y avait en cet endroit une oscillation de monde planté sur les deux jambes, bouche béante. Des hommes à la file attendaient le moment de tirer. L’amorce posée, on prenait les fusils, on épaulait, les pieds distants, les coudes relevés, puis la capsule éclatait. Ce pétardement sec, qui ne finissait pas, s’ajoutait aux appels rauques des marchandes. Et tout à coup un orgue de barbarie fit son apparition au milieu des groupes.

Le musicien tournait la manivelle, les yeux perdus de-