Page:Lemoyne - Œuvres, Une idylle normande, 1886.djvu/262

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vous, ma tante chérie. Je viens vous revoir, pour vous entendre, pour vous aimer, car je ne vous ai ni assez vue, ni assez aimée jusqu’à présent. Nous avons trop vécu séparés l’un de l’autre. Il me tarde de réparer tant d’années perdues pour le cœur. Nous ferons tous deux, vous appuyée à mon bras, de longues promenades au soleil, qui ne vous fatigueront pas. Et le soir, aux veillées, je vous relirai lentement tous les beaux livres que vous préférez, tandis que vous tricoterez à l’aise vos petites jupes de laine pour les fillettes des pauvres gens. Et il nous restera encore de longs jours bénis à passer ensemble pour nous aimer.

La pauvre femme était folle de joie, et ne savait que répondre à tant d’affectueuses câlineries très sincères, échappées d’un cœur débordant.

Elle fut vraiment très heureuse d’abord, se laissant vivre sans arrière-pensée, et sentant remonter en elle comme une sève des vieux jours. Mais peu à peu les réflexions soucieuses reprirent le dessus. Elle gardait son idée fixe, se réservant tôt ou tard de remettre les arguments sérieux en ligne de bataille.

Par une singularité curieuse chez certains aveugles, malgré les rudes épreuves du passé, malgré l’affreuse nuit qui depuis vingt ans s’était faite autour d’elle, les pensées de