Page:Lemoyne - Œuvres, Une idylle normande, 1886.djvu/263

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Mlle Berthe n’étaient pas généralement tristes. Depuis longtemps résignée à vivre de prières et de recueillement, déshabituée de voir avec ses yeux réels toutes nos laideurs contemporaines, elle vivait réfugiée en elle comme dans une sainte chambre noire qui ne tamisait plus que les rayons d’or des beaux souvenirs. Il lui suffisait de regarder en elle pour y trouver toutes les richesses du monde intérieur. Sous son petit bonnet ruché, d’où s’échappaient quelques touffes de cheveux blancs, très doux à voir, son visage pâle à tons d’ivoire rayonnait d’une beauté surnaturelle. Certes l’âge y avait imprimé ses rides ; mais irradiées et peu profondes, ces rides étaient belles : elles racontaient simplement toute une vie de sainte abnégation, d’humble héroïsme et de piété fervente.

Donc, un matin qu’Albert promenait Mlle Berthe, par un chaud soleil qu’elle n’apercevait plus, mais dont les rayons vivifiants passaient comme une caresse de velours sur ses paupières closes, presque heureuses ce jour-là, la petite vieille aborda résolument la question d’avenir :

— Mon cher enfant, réfléchis un peu… Quelle figure feras-tu dans le monde avec nos cinq ou six mille livres de rente ? Car, tu le sais, voilà tout ce qui nous reste.