Page:Lemoyne - Œuvres, Une idylle normande, 1886.djvu/28

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doit être homme d’honneur. Je vous en prie, ne cherchez pas à me connaître… Vous me voyez heureux et navré, victime d’un grand désastre, obligé de cacher mon nom, même de quitter la France ; mais certainement nous nous reverrons, dans un avenir très prochain. Aujourd’hui, pardonnez-moi. » Et me serrant de nouveau les mains, le mystérieux personnage disparut en hâte, comme si quelque inexorable fatalité lui poussait les talons.

« Pour ma part, j’eus un mois de fièvre, et quand je pus me rendre à Saint-Malo, le père et la fille avaient quitté l’hôtel depuis vingt jours pour une destination inconnue. Où étaient-ils ? le sillon de tant de navires s’efface à chaque heure sur la mer ! On les supposait d’une grande famille étrangère, de l’Amérique espagnole, je crois. A une époque aussi troublée que la nôtre, était-ce une affaire politique ou quelque sinistre financier qui les expatriait ? je ne l’ai jamais su.

— Et cette jeune fille, continua le comte ému et surpris, avant l’heure du péril tu ne l’avais pas encore vue ?

— Je l’avais rencontrée deux fois sur la grève et j’avais admiré sa bonne grâce de petite fée grandissante (elle avait quinze ans peut-être) ; sa luxuriante chevelure m’avait ébloui, et j’étais resté sous le charme de ses yeux songeurs, révélant