Page:Lemoyne - Œuvres, Une idylle normande, 1886.djvu/291

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Il avait su prendre la vie par ses bons côtés ; gardait sans doute une ligne de chance dans sa grosse main nerveuse, et tout lui avait réussi… puisqu’il avait obtenu la marquise d’Évran, la seule espérance qui lui semblât d’abord impossible à réaliser. Mais il s’était fait si humble, avait paru si dévoué, avec tant de sincère abnégation dans ses paroles émues, près du berceau de la petite Alise presque mourante, que la marquise avait laissé prendre sa main, bien froide d’abord… Avec le temps elle avait fini par apprécier la rare valeur de l’homme, mine d’or par le cœur et intarissable banquier pour sa famille, payant toujours royalement, sans l’ombre d’un sourcil circonflexe, les notes les plus formidables des modistes et des couturiers, et disant parfois avec un adorable sourire de bonhomie : « A quoi servirait tant d’argent, si ce n’était à donner un peu de joie à ceux qu’on aime ? » Il dépensait à peine les trois quarts de ses revenus, et la mère et la fille passaient pour des élégantes du meilleur style dans les salons parisiens.

Le comte Albert, placé près de Mlle d’Évran, avait attendu avec la plus courtoise déférence, que la robe maïs eût apaisé son bruit dans toute son ampleur, puis il vint s’asseoir à sa droite et se trouva bientôt sous le feu direct de deux grands yeux intelligents et spirituels,