Page:Lemoyne - Œuvres, Une idylle normande, 1886.djvu/30

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années sous les hautes futaies de son parc aussi bien que sur les planches d’un navire. A ton tour, raconte-moi tes aventures. Es-tu resté garçon, ou n’aurais-tu pas de beaux enfants à me faire embrasser ?

— Pas encore… mon genre de vie placide et d’apparence heureuse ne s’est guère modifié depuis ton départ : bains de mer, villes thermales, champs de courses, bals et théâtres, toujours la même chose, et toujours à peu près les mêmes figures. Cette éternelle existence au beau fixe, implacable comme le bleu indigo du ciel napolitain chanté par les guitaristes, commençait à me donner sur les nerfs, quand un incident fort inattendu s’est présenté dans ma vie… Quelques mots suffiront, puisque tu veux bien m’écouter :

« Dans l’après-midi d’une chaude journée fleurie (il y avait quelques nuées d’orage dans l’air et les plantes du jardin embaumaient), je répétais au piano une fantaisie de Chopin, ému comme toujours de cette musique étrange, nerveuse et saccadée, qui vous emporte dans son tourbillon de fièvre avec des notes poignantes comme un sanglot dans un rêve, quand j’aperçus, derrière moi, dans la glace et comme encadrée dans le chambranle de la porte, une jeune femme blonde vêtue de noir, immobile comme une statue et semblant écouter de tout