Page:Lemoyne - Œuvres, Une idylle normande, 1886.djvu/319

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trois pieds d’eau dans la rivière, ce qui enlevait toute couleur dramatique à l’épisode.

Le même soir, Albert fut plus adroit et plus heureux. Dans une excursion au marais, par un temps superbe, Mlle d’Évran s’était approchée d’une petite vache bretonne dont la clochette au cou tintait clair, et qui portait sur le front sa chaînette en fil d’acier tordu, coquettement tressée. Elle mangeait tranquillement une poignée d’herbes dans sa main et regardait avec plaisir Mlle Alise (comme les bêtes savent regarder les gens qui les aiment), quand Albert aperçut un taureau venant droit sur la belle promeneuse, l’œil irrité par le foulard cerise qu’elle avait au cou :

— Prenez garde mademoiselle, et permettez…

Et sans attendre sa réponse, il enleva le foulard d’un geste et déploya ses couleurs vives aux yeux de la bête furieuse qui se rua sur lui. Il fit volte-face comme un toréador, et quand la bête revint une seconde fois, par une manœuvre habile il contourna le tronc d’un saule creux qui se trouvait à sa portée, mais en agitant toujours le foulard, tandis que le taureau, lancé droit à plein corps, s’envasait jusqu’aux fanons dans un large fossé plein d’eau limoneuse. Rafraîchi sans doute par ce bain inattendu, le taureau disparut sur la rive