Page:Lemoyne - Œuvres, Une idylle normande, 1886.djvu/48

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précises le déjeuner, si l’heure te convient. Alors nous aviserons pour l’après-midi. » Le programme fut adopté.

Nos rêves, a-t-on dit, ne sont pas autre chose que l’intensité de la vie réelle, en rose ou en noir. Cette nuit-là, tous trois dormirent en rose, mais les rêves furent bien différents.

Marie Alvarès se demanda d’abord si les raisons que l’artiste avait données de sa longue absence étaient fort concluantes. Il restait à cet égard dans sa pensée quelques nuages persistants, mais ils se dissipèrent dans l’envahissement du premier sommeil. Quand elle fut entrée dans le pays des songes, perdant les notions de l’espace et du temps, elle rêva que Georges lui faisait une cour assidue de huit années (un an de plus que Jacob pour Rachel) ; mais les événements s’accomplissaient dans les plus singulières conditions : elle traversait à la nage un grand lac d’Égypte dont elle ignorait le nom (bien au delà du Nil blanc), et dans les eaux tièdes et parfumées, parmi les roses bleues des nymphaeas, Georges la poursuivait sans pouvoir jamais l’atteindre. Ce lac était immense, et la poursuite dura huit années, au bout desquelles le nageur épuisé succombait. Au dernier souffle, au dernier regard de l’infortuné poursuivant, elle fut prise de pitié, se détourna pour l’envelopper de ses deux bras, et put le ramener