Page:Lemoyne - Œuvres, Une idylle normande, 1886.djvu/61

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avait oublié, mais cette grosse gerbe de plantes mal nouées s’éparpilla dans l’herbe, et quand ils s’empressèrent de les rattacher ensemble en resserrant les brins de viorne et d’osier, leurs mains se rencontrèrent dans les fleurs ; il pressa les deux siennes, qui ne purent se défendre de lui répondre par une étreinte, et alors, comme un fou, il porta ses deux mains à ses lèvres.— Elle se leva brusquement, irritée, et tous deux alors reprirent lentement leur chemin, marchant l’un près de l’autre, mais sans échanger ni regards ni paroles, comme deux boudeurs divins, gardant la conscience de leur bonheur perdu, qui tiennent en main la clef des Paradis terrestres et s’interdiraient eux-mêmes de jamais les ouvrir.

Ils rentrèrent les premiers. La petite église de Saint-Marcouf avait tinté six heures dans l’éloignement. Henri de Morsalines n’était pas revenu. Elle se mit au piano, comme pour rompre un mauvais charme et chasser toute une obsédante légion de pensées noires. Les partitions d’Euryanthe et d’Obéron se trouvant ouvertes par hasard, elle joua, comme elle eût joué toute autre chose, la musique pénétrante de Weber, le génie d’outre-Rhin qui a le mieux compris la poésie des bois : le son lointain des cors, le frisson des feuilles, le murmure des sources cachées. Georges écoutait. Peu à peu,