Page:Lemoyne - Œuvres, Une idylle normande, 1886.djvu/63

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deux mains, comme cherchant à retenir ses dernières lueurs de raison.

Vous souvient-il de ces clairs et profonds étangs des bois où, dans le sillage d’un cerf, toute une meute en délire a passé ? Il ne suffit pas d’un instant pour que la vase retombe, que les grandes herbes tourmentées se dénouent et que les eaux remuées aplanissent le miroir où les hauts peupliers redressent lentement leur image.

Le cerveau troublé du comte de Morsalines resta d’abord dans un désordre pareil : il lui fallut quelque temps pour retrouver le fil de ses pensées perdues et se reconnaître dans la nuit qui s’était faite en lui.

« C’est elle que Georges a sauvée, murmurait-il d’une voix sourde… toutes les preuves sont là : sa chevelure blonde, cette plage bretonne, les désastres du père, l’origine franco-espagnole de Marie, son âge (il y a huit ans… elle en avait quinze), les dates et jusqu’aux chiffres des années, tout concorde : les moindres détails ne laissent pas un doute dans leur inexorable enchaînement. »

Et se levant pour arpenter à grands pas les allées :

« Quel aveuglement ! disait-il, j’aurais dû tout prévoir ; il l’aime avec rage, et c’est dans un élan de passion comprimée qu’il a mouillé de ses