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Page:Lemoyne - Œuvres, Une idylle normande, 1886.djvu/65

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« Et pourtant, qui sait ? Pourquoi me créer des fantômes ? Sans vouloir être trop fier, dois-je naïvement descendre au plus humble des rôles ? Il me semble, sans orgueil, que je vaux aussi quelque chose. Georges l’aime, soit ! mais elle ? qui le prouve ? Ce néfaste épisode de mer date de huit ou dix années. N’a-t-elle pas eu le temps de l’oublier, si jamais, du reste, elle a réellement songé à lui ? Il a vécu dans les pays lointains comme s’il n’était plus de ce monde, sans donner de ses nouvelles ni s’être jamais enquis de personne. Marie peut être fantasque, bizarre, d’un caractère impossible à classer, elle m’a dit souvent qu’elle se regardait comme une énigme pour elle-même, mais chez elle le cœur est un diamant pur, et quand elle a mis, tout récemment, sa petite main dans la mienne, j’ai pu lire sa réponse dans son limpide regard. J’ai cru en elle, et j’y crois encore bien plus qu’en moi-même et que dans tous ces froids raisonnements qui s’enchevêtrent dans mon cerveau malade… Demain, dans la matinée, à tête et cœur reposés, à l’heure où elle descend au jardin faire visite à ses fleurs, je lui parlerai et je verrai clair dans ce qu’elle me dira, à la franche lumière du premier soleil. »

Et, dans la rapide contradiction de ses pensées, le comte se rattachait des deux mains à ces petites branches menues et pliantes, mais solides