Page:Lemoyne - Œuvres, Une idylle normande, 1886.djvu/78

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il lui était facile, du reste, de renouer l’entretien interrompu, quand, de temps à autre, il lui en prenait fantaisie. Tout alla fort bien jusqu’à la croix des routes de Montebourg à Quinéville ; mais, un peu plus loin, en vue des hautes ruines de Saint-Michel, où commence une côte rapide, qui descend en droite ligne, Sélim fut quelque peu effarouché par de longs nuages emportés au vent de mer et qui, passant entre soleil et terre, barraient la route par intervalles de leurs grandes ombres fuyantes ; ce n’eût rien été, mais un troupeau de moutons poudreux se jeta dans les roues ; on coupa le troupeau. Pour surcroît d’embarras (c’était ce jour-là foire de Quettehou, près Saint-Waast, on n’y avait pas songé), une bande indisciplinée de gros bétail, bœufs, taureaux, vaches et bouvillons, descendait la pente opposée et venait rapidement à leur rencontre. (Les bêtes se rangent moins volontiers que les hommes.)

Il y avait surtout dans le nombre un petit taureau noir sauvage, aux regards de travers, qui faisait blanc de son œil et à qui, sans doute, la robe alezan de Sélim ne revenait pas. Il se rua sur lui en droite ligne et se campa sur ses quatre pieds en baissant la tête comme s’il voulait éventrer le cheval et mettre à néant l’équipage. Sélim fit un bond de côté, se cabra, partit à fond de train sans qu’on pût l’arrêter et