Page:Lemoyne - Œuvres, Une idylle normande, 1886.djvu/95

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à courir des bordées contre le vent pour ne pas froisser leur costume de cérémonie. Quand ils ont le bonheur de prévoir assez tôt les brusques ouragans des tropiques, ils s’enlèvent comme une fusée volante bien au-dessus de la ligne des nuages, et laissent passer la tempête en promenant leur fantaisie dans les plus hautes régions de l’éther. Ils attendent que la paix soit rétablie sur la terre pour descendre dans leurs forêts parfumées. Leur robe-parachute est magnifique d’ampleur. Mais si, trop enivrés par les amandes fraîches des muscadiers, ou simplement attardés par une légitime folie d’amour, ces pauvres rois de l’air sont surpris par l’orage sous les arbres serrés de la Polynésie, le luxe de leur toilette devient pour eux un embarras terrible ; ils s’enchevêtrent en aveugles dans les lianes et les menues branches, et les indigènes les abattent d’une flèche, ou les prennent à la main sans blessure. C’est alors que commence leur supplice : dans l’intérêt des plumes, pour conserver tout son lustre à l’oiseau rare, on lui brûle les entrailles vives ; puis on expédie dans le creux d’un bambou le merveilleux défunt aux belles filles d’Europe et d’Asie. Ce riche supplicié ne fait-il pas songer aux bien-aimés poètes qu’une pensée malencontreuse engage trop avant dans la mêlée contemporaine ? Planez dans l’azur, ô poètes ! laissez